3 février 1790, incendie des archives de la Forêt Neuve

Cet incendie a fait l’objet d’un procès-verbal le 8 février dont Joseph-Marie Grinsart, sieur de la Salle, sénéchal du comté
de Rieux à Peillac a été le rapporteur et ayant pour adjoint maître Mathurin Daniel Notaire pour le greffe.
Plusieurs paroissiens de Glénac ont ce 3 février été les témoins directs de cet évènement.et ont pu dire “j’y étais“ : Pierre Mérot, tisserand, qui rassemble 25 à 30 hommes pour engager les “brigands“ à ne pas mettre le feu au château ; Pierre Gautier cultivateur à la métairie des Taillis qui voit passer les “chauffards“ devant sa maison ; Jacques Marchand de la métairie des Noës, qui court prévenir le sénéchal Grinsart, Mr Clémenceau et quelques autres notables ; Mathurin Marchand du village du Busson ; Pierre Caillet des Fougerêts, garde-gruyer de la comtesse de Rieux.

3 février 1790

Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée Nationale avait aboli les privilèges et supprimé tous les droits féodaux. Les habitants roturiers des Fougerêts voyaient donc leurs souhaits réalisés.  Je ne crois pas qu’ils en aient pris occasion pour  se livrer à des désordres. Mais d’autres furent moins sages. Dans les chartriers des châteaux, les actes étaient conservés qui établissaient les droits des seigneurs aux hommages et redevances. Certains se persuadèrent qu’ils ne seraient pas radicalement libérés, tant que subsisteraient les titres officiels de leurs obligations. Des bandes se formèrent qui parcoururent le pays, pour brûler les archives et, quand on leur résistait, elles mettaient le feu aux châteaux eux-mêmes.

A ces brigands incendiaires on donna le nom de “chauffeurs“. Or le château de la Forêt-Neuve possédait des archives très riches, où se trouvaient sans doute, à côté des titres de Rieux-à-Peillac, tous ceux de Rieux-à-Rieux, Rieux-à-Fégréac, et peut-être ceux de Rochefort, qui ont disparu. (Amoins que ces derniers n’aient été brûlés par les chouans en 1793 : note personnelle) Ces titres intéressaient les sires de Rieux et en outre les seigneurs secondaires, leurs vassaux au pays de Redon, les cultivateurs et petits propriétaires des environs de la Martinière.

Au moment de la Révolution, Julien-Alexis Joyaut de Couesnongle occupait, à la Forêt-Neuve, les fonctions de général du Comté de Rieux-à-Peillac où, pour employer l’expression actuelle, il en était l’administrateur. A maintes reprises, on lui avait annoncé la visite prochaine des brigands. Son premier projet fut d’armer les voisins et déjà il avait commencé de le mettre à exécution. Il s’en ouvrit à la municipalité de Carentoir, de Redon, à quelques seigneurs du voisinage. N’ayant pas reçu de réponse satisfaisante, et voyant qu’il serait mal défendu par des paysans non aguerris, ... que les brigands n’avaient incendié que les châteaux où ils avaient trouvé de la résistance, il avait renvoyé les hommes d’abord armés.

Le 30 janvier, il apprenait que les “chauffeurs“ se trouvait tout à côté, à Sixt, et que leur intention était de se présenter le soir même à la Forêt-Neuve, pour y opérer une visite domiciliaire. Mais les incendiaires comptaient sans la force armée. Les soldats les attaquèrent à Sixt, le lendemain, vers huit heures du soir, en fusillèrent un certain nombre et en emmenèrent d’autres en prison, à Redon, à Lohéac ou à Guichen (leur pays d’origine sans doute).

Cet incident n’arrêta pas les malfaiteurs. Le 3 février, Joyaut avait prié Pierre Mérot, du village de Launay en Glénac, de porter une lettre à la poste de Carentoir. Là-bas, celui-ci se rencontra avec une troupe d’hommes armés, qui traversaient la bourgade, se dirigeant sur la Forêt- Neuve. Ils portaient des fusils, des pistolets, et autres armes offensives, haches, fourches, etc. Aussitôt Mérot revint à la hâte prévenir Joyaut de ce qui se préparait. Toute tentative de résistance était inutile. Du moins le fermier général voulut prendres les moyens de mettre sa responsabilité à couvert et d’empêcher, autant que possible, l’incendie du château. Il invita Mérot à rassembler les voisins pour “être témoins et engager les brigands à ne pas mettre le feu au château et à ne pas maltraiter les habitants du même château“. Vingt-cinq à trente hommes de Glénac et des Fougerêts répondirent à son appel. Un autre, Jacques Marchand, des Noës, courut à la Gacilly, “prévenir le sénéchal Grinsard, Mr Clémenceau et autres notables de ce qui se passait“. Pendant ce temps-là les brigands approchaient. Pierre Gautier, des Taillis, les vit passer auprès de sa maison. Vers 2 heures on les vit entrer dans l’avenue principale du château. Ils étaient au nombre de 130. Joyaut s’avança à leur rencontre, seul et sans armes. Ils lui déclarèrent que leur intention était seulement de brûler les archives. Si on les leur livrait immédiatement, il ne serait fait aucun mal à la maison ni à ses habitants. L’autre ne pouvait qu’obtempérer à leurs exigences. Huit hommes armés pénétrèrent dans le château, et deux sentinelles furent placés à la porte, pour en défendre l’entrée à tous les autres. Les huit délégués montèrent aux archives. Tous les titres furent saisis et jetés

pêle-mêle par la fenêtre. Ceux qui étaient restés au dehors s’en emparèrent, les amoncelèrent dans un coin de la cour (à l’est de l’entrée actuelle) et y mirent le feu. On ne dit pas que des rondes aient été organisées autour du brasier, comme cela eu lieu ailleurs ; mais nous savons que Joyaut fit distribuer du cidre à discrétion.

Les témoins ne pouvaient omettre ce détail. (déposition de Mérot et de Mathurin Marchand, des Rues Gillet). L’incendie dura trois heures et demie. A 5 heures et demie, tout était terminé : les archives de Rieux n’existaient plus.

Quels étaient les incendiaires ? D’où venaient-ils ? Les procès-verbaux négligèrent de le noter.

A la requête de Mr Joyaut de Couesnongle, présentée par Me Guillaume Burban, de la Ville-es-Carts, son procureur, Me Joseph-Marie Grinsard de la Salle, sénéchal de Rieux-à-Peillac, nomma trois experts pour enquêter sur ces évènements : Guillaume Hercelin, Léon Marquer et Joseph Morin. Puis, Me Grinsard vint lui-même, assisté de Me Jean-François-Noël Briend, procureur fiscal de la dite juridiction et de Me Daniel notaire, faire un procès-verbal de constat. En outre des cinq témoins signalés ci-dessus, il interrogea Pierre Caillet, du Guay, âgé d’environ 65 ans, garde gruyer de la seigneurie de Rieux. Toute cette procédure fut très rapide et ne conduisit d’ailleurs à aucun résultat. A cette époque, les évènements se précipitaient trop rapidement pour qu’on eut le temps se s’y arrêter. Bientôt Grinsard devenu lui-même l’un des plus fameux révolutionnaires de la Gacilly, dut considérer cet incident comme négligeable.

Les témoins n’oublièrent pas. Trois mois plus tard, ils renouvelaient, à Rochefort-en-Terre, la scène de la Forêt-Neuve ; mais, cette fois, c’étaient les archives de la Révolution que l’on livrait aux flammes. Surtout il y avait là un enfant de 12 ans à peine, dont ce spectacle orienta peut-être l’avenir. Nous voulons parler d’Aimé-Alexis-Augustin Joyaut de Couesnongle, le fils du fermier général, celui que son intrépidité chevaleresque et son dévouement à la cause royale firent dénommer, dans la suite, Joyaut d’Assas. De très bonne heure, il conçut une haine profonde pour tout ce qui tenait à la Révolution. Fidèle lieutenant de Georges Cadoudal, il fut compromis dans la conspiration de l’an VIII. Il se livra lui-même pour ne pas trahir ceux qui le cachaient, et porta sa tête sur l’échafaud sans laisser paraître la moindre émotion. Là sans doute était François Caillet, le fils du garde et le futur lieutenant du Canton, avec plusieurs de ceux que nous retrouverons au nombre des chouans. Cette leçon de choses commença à leur ouvrir les yeux sur le caractère du régime qui commençait.

Plaque du fusil d'honneur qui fut remis sous la restauration par Louis XVIII à François Caillet
pour services rendus pendant la chouannerie

détail du fusil d'honneur
détail du fusil d'honneur

Pierre Caillet (cité dans le procès-verbal de l'incendie des archives du château de la Forêt Neuve)

Né en 1725 à Plouguenast dans les Côtes-du-Nord. Marié aux Fougerêts le 13 juin 1759 à Mathurin Louise Marie Guillemette Danae (Danet).

Garde-gruyer de la comtesse de Rieux. Leur 3e fils François Caillet né en 1773, sera nommé par la Nation en 1793, garde provisoire de la Forêt Neuve.

 

“ Pierre Caillet, cinquième témoin, âgé d'environs soixante cinq ans, garde gruyère (Forestier) de la seigneurie de Rieux, demeurant à Saint-Jacob, paroisse des Fougerais, a dit n'être parent, allié, débiteur, serviteur, ni domestique du sieur Joyaut, être purgé de conseil, sollicitation et de toutes causes de faveur, Aya,nt la main levée, il a promis et juré de dire vérité. Enquis sur les faits contenus dans la requête du sieur Joyaut dont lui a été donné lecture par notre adjoint, dépose que le trois de ce mois, étant au château de la Forêt Neuve, environ deux heures après midi, l'on vit paraître dans l'avenue du dit château environ cent trente hommes armés de fusils, de sabres, de haches et de fourches de fer ; que le sieur Joyaut s'avança seul et sans armes vers eux dans l'avenue ; qu'en suite après ils entrèrent dans la cour ; que le sieur Joyaaut, la demoiselle Joyaut, le déposant et plusieurs autres les engagèrent à ne point incendier le château et à ne faire aucun mal à ses habitants ; qu'il fut alors conclu que le château ne serait point incendié ; qu'il n'y entrerait que huit hommes armés et qu'il serait placé deux sentinelles à la porte pour empêcher tous autres hommes armés de s'y introduire ; que la demoiselle Joyaut sa sœur, les nommés Gautier et Mathurin Marchand, que le sieur Joyaut avait fait inviter à se trouvera au château, montèrent aux archives, et qu'un instant après les titres et les papiers qui étaient dans les dites archives furent jetées par la fenêtre dans la cour, ramassées par les hommes armés qui étaient restés dans la dite cour, amoncelés dans un coin de la même cour ; que l'incendie des titres et papiers dura environ trois heures et demie ; que pendant l'incendie le sieur Joyaut fit distribuer dans la cour du cidre aux gens armés lequel cidre fut distribué par le déposant, par des domestiques du sieur Joyaut, par le nommé Behais jardinier et par différents particuliers, le tout en présence  de vingt cinq à trente habitants de la paroisse de Glénac, que le sieur Joyaut avait fait inviter à se rendre au château. - Telle est sa déposition de laquelle lecture lui faite, a dit qu'elle contient vérité, y persister ni vouloir augmenter ni diminuer et a signé“.

Signé P. Caillet, Grinsard monsieur le sénéchal, Daniel

Château de la Forêt Neuve et la cour où furent incendiées les archives.

Le château et la cour  n° 100 sur le cadastre de 1824.