Madouth et Fatoumah

Le mercredi 1er août 1900, dans l’église de Glénac, sont baptisés deux jeunes esclaves que le lieutenant Aymar de Tonquedec alors âgé de 33 ans, a ramené avec lui après l’épisode de la mission Marchand au sud Soudan dans la région du Bahr- el-Ghazal en 1898.

Fatoumah a entre quinze et dix-huit ans. Madouth (qui servait d’interprète) a un peu plus de 20 ans. Les deux sont nés de parents inconnus. Le parrain de Madouth est Aymar de Tonquedec et sa marraine Marie de Tonquedec (sa sœur). Il est prénommé Paul. Le parrain de Fatoumah est Vincent Salpin (sergent dans la mission Marchand) et sa marraine Claire de la Rochebrochard (future épouse de Aymar de Tonquedec). Elle est prénommée Marie. Outre Rouxel, recteur de Glénac, sont également présents le recteur de Cournon et Huet, curé de Bains-sur Oust.

Acte de baptême de Marie Fatouma le 1er août 1900 en l'église de Glénac

Acte de baptême de Paul Mazout le 1er août 1900 en l'église de Glénac.

Parrains et marraines

Aymar de Tonquedec, parrain de Madout, après être revenu du Bahr el Ghazal et rentré en France par Khartoum, Assouan, Le caire et Alexandrie en février 1900, ramène avec lui, deux jeunes esclaves. Aymar est âgé de 33 ans. Lieutenant depuis juillet 1898, il est alors au Sénégal et en 1899, avec cette "Mission Marchand", Il vient de vivre une "aventure" extraordinaire et est encore célibataire. En permission à Brest, au 2e R.I.M., Il se mariera trois semaines après le 28 août 1900 à Vannes, avec celle qui est marraine de Fatouma.

Marie de Tonquedec, marraine de Madout, est sans doute l'une des deus sœurs de Aymar, l'une, Anne Aimée Marie née en 1870 est sœur de la Charité (Saint-Vincent-de-paul), l'autre  Marie Eugénie née en 1873 (elle a alors 27 ans). Cette dernière pourait vraisemblablement être la marraine de Paul Madout.

Vincent Salpin, parrain de Fatouma, était sergent et avait participé comme soldat à la "Mission Marchand" et faisait partie de la petite troupe commandée par Aymar de Tonquedec lorsqu'il était dans le Bhar el Ghazal à Gaba-Chambé en 1899. Des liens se sont établis entre eux, suffisamment forts pour que Vincent devienne le parrain de Fatouma.

Voici ce qu'écrit Aymar : ..."Un bien bon garçon, que salpin. Breton come moi, nous étions faits l'un pour l'autre. Très vigoureux et très intelligent, il avait surtout une gaieté communicative qui faisait fuir tous les cafards. Très bon nageur, il avait réussi, lors d'un précédent séjour au Sénégal, à sauver deux noirs qui, pris par la barre à Saint-Louis, allaient infailliblement se noyer, et cela sous les yeux de toute la population. Aussi ce blanc qui avait risqué sa vie pour sauver deux noirs avait-il, aux yeux des tirailleurs, un énorme prestige, et il obtenait d'eux ce qu'il voulait..."

Salpin, sera tué comme capitaine (à titre posthume) au début de la bataille de l'Yser, au 73e R.I.T. que commandait le lieutenant-colonel Robinet de Plas.

Aymar de Tonquedec en sera aussi le commandant mais qu'à partir du 5 mai 1915.

Sergent Vincent Salpin, parrain de Fatoumah
Sur cette photo, il a l'uniforme du 7e régiment d'Infanterie de Marine.
Lieutenant, pendant la guerre de 1914 au 73e Régiment d'Infanterie Territoriale, il sera tué le 11 novembre 1914 (bataille de l'Yser)

Vincent Salpin est né le 28 juillet 1869 à Penvénan dans le 22 à 5 km de Tréguier. Sa fiche matricule n°836 du bureau de recrutement de Guingamp donne les informations suivantes : Fils de François Salpin et de Marie-Joseph Le bris. N°8  du tirage au sort du canton de Tréguier, classe 1889. Cheveux et sourcils châtains, yeux châtains, front ordinaire, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, visage ovale. Il mesure 1,58m et est déclaré bon pour le service actif. Il réside Paris et est déclaré comme manœuvre.

Il est affecté au 71e Régiment d'Infanterie puis au 6e Régiment d'Infanterie Marine.

Il est appelé et part le 4 novembre 1890 où il arrive au corps le même jour et est incorporé sous le matricule n°2029 comme soldat de 2e classe. promu caporal le 1er octobre 1891, sergent le 16 avril 1893.

Il est envoyé en congé le 24 septembre 1893 en attendant son passage dans la réserve qui a lieu le 1er novembre 1893. Le certificat de bonne conduite lui est accordé.

Il se rengage pour cinq ans au 6e Régiment d'Infanterie de Marine à compter du 25 janvier 1894. Arrive au corps le 29 janvier, matricule n°2890. Caporal le 2 mars 1894. Passe au Régiment de tirailleurs Sénégalais. Sergent le 20 juin 1894. Passe au 2e régiment d'Infanterie de marine le 18 juillet 1896. Passe au Régiment de Tirailleurs Sénégalais le 16 octobre 1897.

Passé à la portion éventuelle du Haut-Oubangui le 9 mars 1898. Rengagé pour cinq ans le 27 août 1898 devant le Commissaire aux Revues dans le port de Saint-Louis (Sénégal) à compter du 21 janvier 1899.

Réintégré au 7e Régiment d'Infanterie de marine le 21 février 1900. Passé au 128e Régiment d'Infanterie par permutation pour convenance personnelle. Arrive au corps le 6 juin 1901, sergent le 14 juin 1901, adjudant le 14 mars 1903.

Passe dans l'armée territoriale le 6 mars 1908. 

Passe dans la réserve de l'armée territoriale le 1er octobre 1909.

Il se marie le 3 novembre 1902 à Fernande Amélie Héricatte. Il est alors domicilié à Amiens.(autorisation du conseil d'administration du 128e Régiment d'Infanterie en date du 3 octobre 1902)

Le 18 juillet 1908, habite Paris,18 rue Championnet dans le XVIIIe. A la déclaration de Guerre le 2 août 1914, habite 14, rue Thomas Couture à Villiers Lebel.

Lorsqu'il est rappelé en 1914 il a 45 ans.

Lorsqu'il est tué le 11 novembre 1914 à Langemarck en Belgique (au cours de la première bataille de l'Yser), il est alors lieutenant au 73e Régiment d'Infanterie territorial et commande la 1ere compagnie. Mort au champ d'honneur, promu capitaine à titre posthume, il est inhumé au cimetière Saint-Charles de Potyze à Ypres.

Témoins du mariage : Aymar de Tonquedec, Vincent Salpin, Claire de la Rochebrochard
et ... de Chanterac (sans doute Marie-Thérèse, épouse de Robert de Foucher)

Madhout et Fatoumah

Aymar de Tonquedec quitte le Fort-Desaix le 30 mars 1899 pour se diriger vers le Nil et les marais du Bahr-el-Ghazal avec le sergent Vié, Samba Dialo, sergent sénégalais, Samba Sal caporal, et 20 tirailleurs ainsi que 17 femmes et 42 porteurs chargés de de munitions et de denrées.

 

Sur les femmes qui l'accompagnent, l'une est de la famille des Gocks-bongos, les autres étaient des Agars de Roumbeck. et,voici ce qu'il écrit dans son livre "Au pays des rivières"

... "je ne pus jamais savoir de quelle tribu étaient les fillettes. L'une d'elles, de 10 à 12 ans, avait particulièrement attiré mon attention. D'un autre type que ses camarades, elle était entourée par les tirailleurs Bambaras et Toucouleurs.

-Pourquoi sont-ils toujours autour de cette fillette ? demandai-je un jour à Samba-sal n désignant les tirailleurs.

-mais tu ne vois donc pas, me répondit-il, qu'elle a les mêmes tatouages que les Bambaras ? Elle est certainement originaire de chez nous.

-Mais comment se trouve-t-elle ici, à plus de 3000 kilomètres de son pays ?

-C'est ce que nous voudrions savoir, mais je ne puis y arriver : elle ne parle pas notre langage, et elle sait mal parler celui d'ici.

-Sa mère, son père.

-Elle n'en a jamais eu. Je crois qu'elle a dû être enlevée de son pays, qui se trouve certainement dans la boucle du Niger, par les gens de Zinder, et arriver ici par le fait de ventes successives. Les marques qu'elle a sur le corps me permettent de le penser.

je m'attachai à cet enfant qu'à partir de ce moment je gardai près de moi, lui donnant la fonction de vestale, c'est-à-dire que, pendant nos marches, elle portait et entretenait un tison incandescent pour allumer le feu à l'étape.

S'appelait-elle, ou est-ce moi qui l'ai appelée Fatoumah ? Je ne m'en souviens pas. Toujours est-il qu'elle répondait à ce nom.

Il est accompagné également par Madouth (ancien esclave d’origine nubienne des environs de Khartoum)et voici ce que Aymar de Tonquedec écrit dans "Au pays des rivières"

..." Jusqu'ici j'avais pu causer assez facilement avec les indigènes ; certains d'entre eux parlant l'arabe, et j'avais trois ou quatre Sénégalais qui connaissaient cette langue et savaient un peu de français. Mais après Ghattas je ne devais plus trouver de gens parlant l'arabe.

J'achetai, pour quelques laitons et perles, au chef de Ghattas, un jeune nègre sachant l'arabe et possédant presque tous les idiomes des tribus des bords du Nil.

Ce jeune homme, du nom de Madouth, devait avoir beaucoup de sang nubien et être originaire des environs de Khartoum, bien qu'il ne connût pas ce pays.

Le 4 avril, après avoir pris congé des chefs, je partis dans la direction de Roumbeck avec Madouth comme guide.

Vincent Salpin et Aymar de Tonquedec posent avec deux défenses d'éléphant tué un jour avant d'arriver à Sémio.
Ces deux défenses laissées au poste de Sémio, ont été acquises par la mission commerciale Bonel de Mézières.
Chacune mesure 2,54 m à la corde.

Madouth est à droite sur cette photo prise à Gaba-Chambé.
Il est vêtu de son beau costume arabe, confectionné par les tirailleurs à partir de cotonnades emportées de Fort Desaix.

Fatouma en bas à gauche sur la photo prise au Fort Desaix.

Suite à l'ordre du 9 octobre 1899, d'évacuer le poste de Gaba-Chambé, en plus des 36 sénégalais, de Salpin, la garnison comprenait 8 jeunes hommes, anciens esclaves, cédés par les tibus voisines du poste, et employés aux divers travaux, plus quinze femmes, qui servaient aux tirailleurs... pour la préparation des aliments, le décorticage des grains et l'entretien des cases. Ils furent placés chez les tribus voisines du nord qui avaient fournis les pirogues pour le retour.

Quant à Madouth... "Je voulais le laisser au poste de Chambé, où je lui céderais, avec les cases, la plus grande partie de mon troupeau de chèvre et de moutons, un fusil, des cartouches et tout mon reste de perles, étoffes et laiton que je ne pouvais emporter. Je pensais qu'avec ces richesses il deviendrait un chef important, et qu'il pourrait vivre tranquille avec sa femme Fatouma, et avoir une existence assurée pour le reste de ses jours.

Mais il me dit que, s'étant donné à moi et trop compromis aux yeux de ses voisins, il serait assassiné par eux une fois que je serai parti, car mon départ allait être une cause générale de conflit entre tous les villages de la région.

Je me rendis à son juste raisonnement, d'autant plus qu'il avait encore des services à me rendre comme interprètre pendant la première partie de mon voyage.

je décidais de l'emmener avec sa fmme. je pensais les laisser, soit à Fachoda, soit à Khartoum, où il pourrait avoir une situation de guide ou d'interprète auprès des Anglais."

Le Bhar el Ghazal, et l'itinéraire du lieutenant de Tonquedec entre 1898 et novembre 1899.
Ensuite, depuis Gaba-Chambé, le 26 novembre 1899, il remonte vers le lac No, rejoint l'embouchure de la Soba et arrive à Fachoda, d'où il est embarqué vers Khartoum.

Au détour d'une phrase, voici ce qu'écrit également Aymar de Tonquedec :

"Les effets non emportés sont brûlés. Les objets non détruits : cartouches, dents d'éléphants, instruments divers, sont noyés dans un endroit que j'ai bien repéré, et où je pourrais les retrouver."

 

Ils y sont sans doute toujours. Reste à les retrouver !!!

"Le 26 novembre au matin, après avoir rassemblé mes hommes au pied du drapeau et l'avoir salué de trois feux de salve, je le fis amener, et placer à l'arrière de la pirogue sur laquelle je devais embarquer.

Après avoir regardé, une dernière fois, si nous ne laissions rien, nous abandonnâmes pour toujours le poste que nous avions créé et le pays que nous avions conquis."

Madouth et Fatouma furent mariés en France en 1900 (ni à Glénac, ni à Cournon, ni à Bains sur Oust pour les mariages civils). Mariés seulement religieusement à Glénac en 1900, l'acte est retrouvé. Ils restèrent à la Martinique, où ils accompagnèrent Aymar de Tonquedec lorsqu'il est nommé au bataillon de la Martinique de mai 1901 à juillet 1903 et où il est promu capitaine en juillet 1902.

Aymar de Tonquedec après avoir été en garnison à Fort-de-France entre mai 1901 et courant 1902, doit se trouver en garnison au camp militaire de Balata entre fin 1902 et début 1903. Son épouse, Claire, l'accompagne certainement dans ce poste, puisque son deuxième fils, Robert naît à Balata le 26 avril 1903.

Madouth et Fatoumah sont-ils encore à ce moment en compagnie des Tonquedec ?

le camp militaire de Balata

C'est un camp militaire situé à une dizaine de kilomètres au nord de Fort-de-France, où se trouve sans doute une garnison. Des cartes et plans entre 1852 et 1870, font état de baraquements destinés entre autre à un école de tir, ainsi qu'en 1866, à des bâtiments destinés à loger une Compagnie et un pavillon pour loger les officiers.

 

Reste-t-il des traces du passage de Madouth et Fatoumah à La Martinique

Non en  dépit de quelques recherches faites. N'oublions pas qu'il y a eu une l' éruption volcanique de la montagne Pelée en 1902 qui a débuté le 23 avril 1902 et s'est poursuivie jusqu'au 5 octobre 1905. Sa nuée ardente du 8 mai 1902 a presque entièrement détruit la plus grande ville de La Martinique, Saint-Pierre, faisant plus de 30000 morts et coulé une vingtaine de navires marchands.

Madouth et Fatoumah ont-ils péris dans cette catastrophe ? Pas d'indices à ce jour. 

Le capitaine Aymar de Tonquedec revient en France en 1903.

Aymar de Tonquedec était-il hébergé au camp militaire de Balata

Le camp militaire de Balata situé à 10 km environ au nord de Fort-de-France.

Le grand bâtiment à l'extrémité droite, pourrait être celui destiné à loger une Compagnie de soldats

le bâtiment le plus proche, est sans doute celui destiné à loger les officiers.

Cette photo est postérieure à 1866, 

car le nombres de bâtiments construits  est relativement conséquents par rapport au plan de 1866.

le chemin au 1er plan est celui qui conduit à Saint-Pierre.

Camp militaire de Balata.

Projet de construction de bâtiments destinés à loger une Compagnie de soldats et leurs officiers.
En D, le bâtiment destiné aux officiers. le Capitaine Aymar de Tonquedec a dû y loger entre 1902 et 1903.
Les n° 4 et 5 du plan du pavillon, correspondent au logement du capitaine.
Les n° 6, 7 et 8, 9 à ceux des lieutenants. le n° 1 étant la salle à manger, le n° 2 la cuisine, le n° 3 l'office.

Projet de bâtiment de 1866 : Pavillon des officiers.