Pierre THIBAUD

Pierre THIBAUD, un exemple-type du “maraouad“?
Il signe un bail de métayage pour la ferme des Taillis à Glénac en 1854.

La ferme des Taillis sur le cadastre de Glénac en 1824

Le contexte
en terme de statistique, on pourrait placer Pierre THIBAUD dans la catégorie des laboureurs faisant partie intégrante de cette population d’ouvriers agricoles et domestiques gagés à l’année et placés dans des exploitations et généralement intégrés à la vie familiale, même s’ils couchent dans l’étable. Beaucoup sont jeunes domestiques placés par leur famille dans une autre exploitation, parce qu’ils sont en surnombre chez eux, et en attendant le service militaire ou le mariage ou une éventuelle situation de métayers ou de fermiers. Certains sont des hommes adultes relativement spécialisés dans la conduite des attelages pour les labours (laboureurs, charretiers, bouviers). Mais ce sont aussi des valets dénués de tout patrimoine et de toute perspective, et qui finiront leur carrière de “vieux serviteurs“ chez le même exploitant. Reste les nombreux “petits domestiques“ à tout faire, indispensables à toutes les manutentions se faisant à la main, à la bêche, les servantes, les journaliers au travail “saisonnier“ payés à la journée. Ce sont souvent de petits paysans qui possèdent une chaumière et un lopin de terre qu’ils cultivent à la main. Pour survivre, ils travaillent pendant les périodes de gros travaux chez les fermiers et propriétaires voisins.
Il y a des “places“ où l’on est mieux nourri, mieux logé, mieux considéré que d’autres et à la Saint-Jean se tiennent les traditionnelles foires aux domestiques où en général ils se “gagent“ pour l’année et passent un contrat verbal chez un maître. Les gages sont versés à la fin de l’année au domicile du maître, en argent sur parole et sans quittance. Le maître est tenu de loger et nourrir son domestique, de le blanchir. Le domestique doit tout son temps dimanche et jours de fête y compris à son maître.
C’est dans ce contexte que Pierre Thibaud s’est placé en signant un bail de métayage en 1854 avec le comte de Foucher de Careil, à la ferme des Taillis à Glénac.

Pierre THIBAUD, (fils de Pierre né en 1755 à Port Saint-Père et de Anne Michel née en 1758 à Saint-Mars de Coutais. Ils habitaient la Métairie Neuve à Port Saint-Père) est né le 19 mai 1797 à St-Mars de Coutais (Loire-Inférieure) se marie le 13 juillet 1820 à Sainte-Pazanne à Marie-Anne SOREAU née le 16 septembre 1800 à Sainte-Pazanne. Le couple aura 11 enfants tous nés à Sainte-Pazanne.


La souche familiale est originaire de Chéméré. Paroisse située dans le Pays de Retz. Selon les mariages, on les retrouve dans les paroisses/communes de Arthon en Retz, les Moûtiers en Retz, Bourgneuf en Retz, Port Saint-Père, La Marne, Bouaye, Saint Mars de Coutais, Sainte-Pazanne.
Ils sont pour la plupart laboureurs, agriculteurs mais on trouve entre autres, un marchand de volailles, un aubergiste. Un THIBAUD : François Augustin a été pendant la révolution française chef des attroupés puis capitaine vendéen dans l’armée de Charrette en 1793-1794. Il commandait les troupes vendéennes de Port Saint-Père. Il tient l’auberge et le passage de la rivière. Par la suite, il sera agent municipal de 1797 à 1801 et fera prospérer son patrimoine non seulement par sa situation économique privilégiée, mais encore grâce à l’appui d’Aristide de Grandville, héritier de la Tour et nouveau “seigneur“ de la paroisse. Lieutenant de la Garde nationale du Pellerin sous la Restauration, Louis XVIII le décorera de l’ordre du Lys.
François Augustin THIBAUD né en 1769 a deux frères : Pierre né en 1755 et Jean né en 1758. Les deux sont laboureurs à Port Saint-Père à la Métairie Neuve.

  • Joseph (fils du second : Jean) né en 1758 à Port Saint-Père. Il épouse en 1823 Jeanne Guihal et est cultivateur à la Chevalerie en Fay de Bretagne. Ils ont deux fils : Joseph né à Bouaye en 1824 et François né à Bouaye en 1826. Joseph sera cultivateur à la ferme de La Porte en Pleucadeuc
  • François sera cultivateur à la Métairie neuve en Pleucadeuc. Il épouse Florence Meignen en 1859 à Fay de Bretagne. Ils auront un fils : Aristide né en 1866 à Bouvron (44).

C’est cet Aristide THIBAUD qui est “le maraouad n°553“ répertorié par René Guillaume.
Il se marie en 1895 à Pleucadeuc à Victorine BACONNAIS originaire de Plessé (44).
Ils ont comme arrière-arrière petits-enfants Yann Blandin né en 1969 à Albi (81) et Thierry Blandin né en 1972 à Harfleur (76)

Acte de baptême de pierre THIBAUD,  18 mai 1797 (30 floréal an V) à St-Mars de Coutais (44) 

Acte de décès de pierre THIBAUD, le 14 mai 1863 à Glénac, âgé de 66 ans

Tableau simplifié ascendance/descendance de la famille THIBAUD

La ferme des Taillis en 1824

Elle appartient en 1824 à Pierre Soulaine de La Gacilly. Pierre Paterne SOULAINE est né le 10 avril 1778 à La Gacilly. Il meurt le 7 janvier 1859 à La Gacilly. Il est déclaré comme marchand. Il se marie le 6 novembre 1810 à Fégréac à Jeanne Julienne GUILLET.
La ferme des Taillis appartient en 1854 au comte Auguste Guillaume de FOUCHER qui avait acheté en 1826 le domaine et château de la Forêt Neuve et qu’il reconstruit en partie.
Il aurait donc acheté cette ferme à Pierre Soulaine.
(les surfaces sur la matrice cadastrale de 1824, étaient indiquées en arpents et perches)
la parcelle n° 71 - la vallée du four au loup - lande - 20 arpents 47 perches 40 (appartient à
la commune de Glénac)
la parcelle n° 72 - la lande de Gralia - lande - 1 arpent 15 perches 0 (appartient à la veuve Seguin Joseph Marie)

les n° de parcelles de 73 à 86 sur la matrice cadastrale de Glénac de 1824 appartiennent à Pierre Soulaine de La Gacilly.


73 - le petit pré du bois des forges - pré - 0 arpent 23 perches 40
74 - le grand pré - pré - 0 arpent 50 perches 90
75 - le domaine du bois des forges - terre - 1 arpent 38 perches 30
76 - le coutil du four - courtil - 0 arpent 7 perches 70 77 - la pièce du sable - terre - 1 arpent 26 perches 10
78 - les taillis - bois taillis - 4 arpents 78 perches 40
79 - le courtil - courtil - 0 arpent 4 perches 10
80 - maison
81 - le pâtis - pâture - 0 arpent 12 perches 90
82 - le grand courtil - courtil - 0 arpent 1 perche 80
83 - la purée - terre - 0 arpent 63 perches 10
84 - le petit pré - pré - 0 arpent 2 perches 30
85 - la butte - lande - 0 arpent 69 perches 10
86 - la butte - terre - 1 arpent 32 perches 60

les n° de parcelles de 87 à 91 appartiennent à Auguste de Foucher
les n° de parcelles de 92 à 104 appartiennent à Boudeville

La ferme des Taillis (cadastre de 1824)

n° 76 - le Courtil du four, courtil 0 arpent 7 perches 70
n° 79 - le Courtil, courtil 0 arpent, 4 perches 10
n° 80 maison
n° 81- le Patis, pâture 0 arpent, 12 perches 90
n° 82 - le Grand Courtil, courtil 0 arpent, 1 perche 80
n° 84 - le Petit Pré, pré 0 arpent 2 perches 30

Pierre Thibaud, condamné le 28 décembre 1856 pour vol, détournement d'objets, violences avec voies de fait envers un garde particulier.
Condamné à un an de prison et un jour, entre le 16 avril 1857 à la maison centrale de détention. Il est répertorié dans le registre d’écrou sous le n° 27536. Son n° de plaque est 1017.
Il sera libéré le 29 décembre 1857 et rentrera à Glénac où il s’installe aux Rues Garel.
C’est sa première et unique condamnation. Un an de prison, pour un larcin dérisoire et pour une bagarre avec le garde particulier du comte Foucher de Careil, semble excessif, trop lourd mais c’est ainsi sous le règne de l'empereur Napoléon III depuis 1852.
 
Comment expliquer la détention de Pierre Thibaud
Pierre Thibaud en signant un bail de métayage a des droits (minimes) et des obligations (nombreuses). Il a peu de moyens personnels et une famille nombreuse. Les résultats de son travail de métayer ne sont sans doute pas à la hauteur de ses espérances. Par ailleurs le comte Auguste de Foucher et son fils (les bailleurs) attendent que leur fermage leur assurent de confortables rentes. Mais l’esprit “frondeur“ ou “braconnier“ de Pierre Thibaud (petits chapardages sur les récoltes, mise en place de collets pour pallier à l’interdiction de chasse), ont dû détériorer le bon relationnel avec le garde particulier du comte. D’ou une dégradation des rapports de métayer à propriétaire. L’engrenage fait qu’il y a eu à un moment particulier “bagarre“ avec le garde, d’où plainte déposée auprès du tribunal de première instance de Ploërmel et par la suite condamnation de Pierre à un an et un jour de prison.
Le greffe de la Cour impériale de Rennes notifie l’arrêt le 26 novembre 1856, ainsi :
Extrait des minutes du Greffe du Tribunal de première instance de Ploërmel, second arrondissement du département du Morbihan.

“par arrêt du vingt six novembre mil huit cent cinquante six, la Cour impériale, chambre correctionnelle, a confirmé le jugement correctionnel du tribunal de Ploërmel,
du vingt huit octobre mil huit cent cinquante six qui a condamné Pierre Thibaud âgé de cinquante neuf ans, né à Saint-Mars de Coutais le 18 mai 1797. Fils de Pierre et Anne Michel,
laboureur demeurant à Saint Nicolas du tertre arrondissement de Ploërmel, à un an et un jour de prison pour vol, détournement d’objets saisis, violences et voies de fait envers un garde particulier.
La minute est dument signée.
Pierre Thibaud a commencé à subir sa peine le 28 décembre 1856“

 

Pour extrait conforme
délivré le 7 janvier 1857

Sur l’arrêt, est noté également le signalement de Pierre Thibaud


Taille : 1,70 m
cheveux châtains grisonnants
sourcils idem
front haut
yeux gris
nez long
bouche grande
menton large
visage plein
teint coloré

Fils de feu Pierre et feue Anne Michel, laboureurs demeurant à St-Nicolas du Tertre
Catholique.
Sait lire et écrire
marié à Anne Soreau
10 enfants/marié/lettré/catholique/marié à Anne Soreau
Ieur condamnation
Noté : 5/10
commencement de peine : 28 décembre 1856
entrée : 16 avril 1857
libération : 29 décembre 1857 (se retire à la Gacilly)

n° d’écrou : 27536
n° de plaque : 1017
(2Y2 /345) registre d’écrou et
(2Y2 /687) dossier individuel aux archives départementales d’Angers

Extrait des minutes du greffe du tribunal de première instance de Ploërmel du 7 janvier 1857

Résiliation le 5 septembre 1857 de bail passé par les époux Thibaud et Auguste de Foucher pour la ferme des Taillis à Glénac
Par devant nous Me Rouxel, notaire à La Gacilly, chef-lieu de canton, arrondissement de Vannes, département du Morbihan, soussigné et en présence des témoins ci-après nommés et aussi soussignés.
Furent présents
Monsieur Auguste Jean-Marie comte de Foucher de Careil, propriétaire rentier, demeurant au château de la Forêt Neuve, commune de Glénac, canton de la Gacilly.
Agissant au nom de Mr Auguste Guillaume vicomte de Foucher de Careil, son fils, propriétaire demeurant avec lui pour lequel il se porte fort
d’une part
et Anne Soreau, épouse de Pierre Thibaud, cultivatrice, demeurant à la ferme des Taillis commune de Glénac agissant au nom et comme mandataire spéciale de Pierre Thibaud, son mari, cultivateur, actuellement détenu à la maison centrale de Fontevrault, Maine et Loire, suivant procuration sous signature privée en date à Fontevrault du vingt six août dernier et qui sera enregistrée en même temps que les présentes. L’original de la quelle procuration est demeuré ci-annexé d’autre part.
Lesquels sont convenus de résilier comme de fait ils résilient purement et simplement pour les présentes avec réserve de tous dus et droits à partir de la Saint-Denis neuf octobre prochain mil huit cent cinquante sept le bail fait par Mr le vicomte de Foucher aux dits époux Thibaut pour sept années entières et consécutives à partir du neuf octobre mil huit cent cinquante quatre de la métairie des Taillis, située commune de Glénac et de La Gacilly, moyennant une somme annuelle de soixante francs à titre de petite ferme, plus la moitié des fruits de toutes espèces évalués annuellement par les parties à douze hectolitres de seigle, seize hectolitres de blé noir, sept hectolitres d’avoine et en outre la portion de pommes, noix et châtaignes revenant au bailleur avec les prestations à son profit, le tout estimé trente francs par an aux termes d’un …. de bail à ferme passé devant le dit Me Rouxel et son collègue le treize août mil huit cent cinquante quatre, enregistré le dix-neuf du même mois.
En conséquence la dite Anne Soreau en sa dite qualité s’oblige à vider les lieux au dit jour neuf octobre prochain, tous droits étant réservés par le bailleur.

Dont acte fait et passé au château de la Forêt Neuve, commune de Glénac, canton de La Gacilly.
En présence de Jean-Marie Hersart, facteur de la poste et Pierre Peltier, boulanger, témoins instrumentaires, demeurant en la ville de La Gacilly.
L’an mil huit cent cinquante sept le cinq septembre.
Lecture faite, Mr de Foucher a seul signé ces présentes avec les témoins et le notaire, Anne Soreau a déclaré ne savoir signer.
signé : Cte Foucher de Careil
Peltier, Hersart

lettre de pierre Thibaud de la maison centrale de Fontrevaud en 1857
Je soussigné Pierre Thibaud, cultivateur, fermier de la métairie des Taillis, commune de Glénac, canton de La Gacilly, actuellement détenu à la prison de Fontevrault, Maine et Loire.
Donne pouvoir et procuration à Anne Soreau, mon épouse cultivatrice, demeurant à la ferme des Taillis, commune de Glénac de pour moi et en mon nom résilier à l’amiable tous baux, notamment le bail de la métairie des Taillis, passé devant Me Rouxel, notaire à La Gacilly le treize août mil huit cent cinquante quatre ; de résilier le dit bail pour la St-Denis, neuf octobre prochain mil huit cent cinquante quatre, aux conditions que le mandataire jugera convenables.
Aux effets ci-dessus passer et signer tous actes, élire domicile et généralement faire tout ce qui sera utile et nécessaire promettant de le ratifier au besoin.Fait à Fontevrault le vingt six août mil huit cent cinquante sept.
Bon pour procuration
signé : Thibaud
Par nous Maire de la commune de Fontevraud, soussigné, pour légalisation de la signature du sieur Pierre Thibaud détenu en la maison centrale de cette commune, apposée d’autre part
Mairie de Fontevrault le 28 août 1857

Chronologie des “maraouads“
Les migrants appelés en patois du pays de Redon appelés “maraouads“. Cette tranche de population rurale commence à apparaître dans l’ouest au cours du développement agricole de la première moitié du XIXe siècle et se poursuivra jusque dans les années qui vont précéder la guerre de 1914-1918.
La période la plus marquante se situe autour des années de 1850 à 1880 et notamment sous le second empire de Napoléon III.
Les “maraouads“ que l’on rencontre et qui s’installent dans les communes de La Gacilly, Glénac, La Chapelle-Gaceline, Cournon, Les Fougerêts, Saint-Nicolas du Tertre, Saint-Martin sur Oust, Carentoir, sont nés principalement dans d’autres communes du Morbihan et de l’Ouest. Beaucoup également viennent du nord-ouest de la Loire-Atlantique et certains du sud-ouest de la Loire Atlantique. D’autres viennent des départements de l’ouest

Chronologie

Ils quittent leur commune d’origine parce qu’ils n’ont pas de terre, ou pas de travail, ou parce qu’ailleurs ce sera mieux, ou parce qu’ils ont déjà quelqu’un de leur famille qui a tenté une expérience de “métayage“ ou de “fermage“.
Leur déplacement depuis leur commune d’origine vers celle d’adoption résulte en partie de plusieurs facteurs imbriqués qui ont représenté un élément déterminant de ces migrations.

1 • l’émergence des sociétés savantes, académiques, polymathiques...
2 • les nouvelles techniques et l’évolution du matériel agricole
3• les innovations appliquées à le fertilisation des sols
4 • le défrichement, le partage des “landes“, la loi de 1850, le partage des communs
5• l’enseignement agricole avec l’émergence de fermes-écoles dont Grand-Jouan à Nozay
6 • l’incitation au défrichement des terres vaines et vagues et la mise en valeur de nouvelles terres
7 • l’assèchement des zones marécageuses
8 • l’implication des grands propriétaires fonciers à valoriser leurs terres
9 • la mise en service du canal de Nantes à Brest
10 • la mise en œuvre généralisée du “cadastre napoléonien“
11 • les comices et concours agricoles
12 • les avantages fiscaux accordés à ceux qui défrichent


Tous ces évènements ne se sont pas faits sans débats allant même jusqu’à des conflits opposant les intérêts individuels à ceux de la collectivité. “Conserver au nom de la propriété ou transformer au nom du progrès“. “Le statu quo ou la marche en avant“. Tradition ou innovation.
Ce sont souvent des “étrangers“ à la Bretagne qui portent un regard sévère sur le paysage des landes : Arthur Young agronome anglais, les trappistes de La Meilleraye anciens émigrés en Angleterre, Haëntjens armateur nantais d’origine hollandaise, Rieffel d’origine alsacienne. C’est à partir de 1825 que les partisans du défrichement vont réussir la mise en valeur des terres par le progrès des connaissances agronomiques, l’utilisation des engrais nouveaux, le noir animal, les amendements calcaires, le perfectionnement du matériel de labour, parfois l’apport de capitaux importants.

Le “migrant-maraouad“ est une résultante, un “effet“ de ce “brassage“ d’idées et techniques nouvelles, auxquelles se sont confronté les propriétaires terriens dans leur “course“ pour améliorer les récoltes, le bétail, les terres, le paysage.